Faire avec le déjà-là

Faire avec le déjà-là

Faire avec le déjà-là

« Transformer la ville existante, c’est bien la densifier. » 

Cette phrase de Sylvain Grisot dans son Manifeste pour une économie circulaire ne signifie pas revenir à une ville de l’entassement favorisant le développement de maladies, sans lumière, ventilation naturelle ou accès à la végétation. Elle met plutôt l’accent sur le mot « bien » : densifier, oui, mais pas n’importe comment. Il s’agit de réfléchir à une densification vertueuse, une « intensification » mesurée de la ville. Et densifier, c’est faire aussi avec l’existant, se le réapproprier pour imaginer des usages différents, des manières dont il peut s’adapter aux changements de la ville.



Révéler les potentialités de l’existant


Faire avec le « déjà-là » est un choix, mais aussi une nécessité dans un contexte de problématiques environnementales généralisées. En construisant à Paris, c’est aussi une évidence portée par la ville et son histoire. Toutefois, faire avec ce « déjà-là » ne s’inscrit pas dans une dynamique de préservation exagérée de l’ancien, mais plutôt de compréhension profonde de l’existant pour mieux le transformer.


Ce « faire » passe alors par deux attentions différentes et complémentaires. D’une part, une analyse fine de la structure et de l’aménagement des lieux est réalisée. Travailler avec l’ancien, c’est aussi laisser ouvertes les possibilités de restructuration, d’extension, de surélévation, de changement de destination… Pour la Caserne militaire de Reuilly, l’ajout de nouvelles rangées de fenêtres, le travail fin de redimensionnement des porteurs et la restructuration des planchers a permis d’accueillir une cinquantaine de logements. Porte de la Chapelle, l’analyse a révélé la possibilité d’améliorer les usages des logements réhabilités à travers l’élargissement du bâti.

Choisir le réemploi


D’autre part, une attention est portée aux matériaux, aux équipements, voire aux mobiliers dans une perspective de réemploi. Le réemploi peut prendre plusieurs formes – réutiliser, récupérer, reconditionner, reconvertir, etc. – mais qui insistent toujours sur le « re », c’est-à-dire apporter un nouvel usage à une matière déjà présente. Ce préfixe prolonge la durée de vie de ces matériaux qui serait sinon considérés comme déchets. Le réemploi est un changement d’approche et de regard sur l’existant, mais aussi une manière de détourner les processus classiques de construction des bâtiments. Il s’agit de passer d’une logique de remplacement par du neuf à une logique de réparation qui accorde une nouvelle importance au « déchet » : il devient une ressource propre. Ce changement d’approche semble essentiel au vu de l’impact négatif des industries du bâtiment sur l’environnement. Faire avec le « déjà transformé », c’est aussi une manière de penser différemment l’architecture : il s’agit de partir de la matière, de ce qui est disponible, avec une attention au site et au contexte d’intégration, et d’imaginer son devenir au sein du projet.

Camille Salomon a développé une sensibilité particulière au réemploi, grâce à des collaborations avec Rotor notamment, puis en construisant son approche en tant qu’architecte. Elle s’est saisie de ce sujet comme approche réflexive de sa pratique et comme moyen de questionner les modes de construction actuels. Le positionnement de l’architecte face à l’existant demande de la souplesse, des capacités d’adaptation et de la réactivité vis-à-vis des imprévus. Travailler avec le réemploi valorise ainsi la phase de chantier et l’expérimentation. Il nécessite de savoir repérer et saisir les opportunités – représentées par exemple par un ensemble de matériaux – d’être attentifs aux occasions et de penser le bâtiment dans une temporalité plus large, intégrant à la fois son passé et son potentiel futur réemploi. 


Le travail de réemploi que Camille Salomon a mis en œuvre a pris ainsi plusieurs directions. Il y a d’abord le réemploi d’éléments déjà présents dans les bâtiments à réhabiliter, comme les radiateurs en fonte de la Caserne de Reuilly ou les menuiseries du bâtiment faubourien de Porte de la Chapelle. Il y a ensuite l’intégration ou le transfert de matériaux récupérés, comme le choix de réintégrer des châssis mal dimensionnés suite à une erreur de fabrication dans un nouveau projet. Il y enfin la revalorisation de matériaux déconsidérés, à travers la transformation de panneaux trespa orange en bakélisé stratifié – d’anciennes portes de sanitaire – en éléments de mobilier pour la résidence étudiante de la Caserne de Reuilly. 

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